À travers la parole des jeunes, nous avons choisi de mettre l’accent sur certaines étapes clés de l’accompagnement ainsi que sur les valeurs et principes fondamentaux que l’on peut retrouver dans le référentiel opérationnel des TSHM. Nous avons identifié comment ils entrent en contact avec ces jeunes en rupture de liens sociaux. C’est à travers différentes actions et activités qu’ils ont créé un lien avec Kilian, Jamila et Karim.

Les principes fondamentaux comme la libre adhésion, l’absence de mandat nominatif, le respect de l’anonymat, etc. guident et cadrent l’intervention des TSHM. Des valeurs phares comme le non jugement et l’accueil inconditionnel favorisent l’établissement d’une relation éducative et de confiance avec les jeunes.  C’est à partir de cette relation que nait la formulation d’une demande et l’identification de besoins. 

L’action des TSHM est sous-tendue par une prise en compte globale de la situation du jeune afin de proposer un accompagnement sur mesure. Les jeunes ont souligné un réel travail de collaboration et de coopération avec les TSHM. Ces derniers ont su mobiliser les jeunes dans le but de faire évoluer leurs situations. Ils ont également mobilisé les ressources externes en faisant appel au travail de réseau.

Nous allons maintenant présenter ces différentes étapes importantes de l’accompagnement en nous appuyant sur le témoignage des jeunes que nous avons mis en perspective avec la parole des professionnels et du référentiel opérationnel des TSHM.

L'entrée en relation

L’entrée en relation peut se faire de différente manière avec les TSHM notamment à travers la palette d’outils qu’ils proposent. Karim a été abordé par Abdallah dans la rue ; Jamila, lors d’une activité sportive mise en place par les TSHM ; Kilian à travers le réseau qui a sollicité Nasser. Ils ont cette particularité d’aller à la rencontre de leur public cible notamment à travers des tournées de rue. En effet, ils travaillent principalement avec une population vulnérable qui n’a pas toujours les ressources nécessaires pour effectuer une demande d’aide auprès des services et institutions. 

"Le jour de mes 18 ans, je suis allé à la maison de quartier de Châtelaine et Sabrina, une animatrice, m’a orienté vers les TSHM et c’est là que j’ai rencontré Nasser."
Kilian
Entretien du 16 avril 2022
"J’ai entendu parlé des TSHM quand j’avais entre 15 - 16 ans . J'étais à l’école de culture générale à l’époque, avec des potes on se rejoignait souvent en bas du centre social et un jour Abdallah nous a interpellé et s’est présenté à nous."
Karim
Entretien du 8 avril 2002

Nasser nous explique que les tournées de rue sont prévues quotidiennement à Vernier afin d’aller à la rencontre de la population et plus spécifiquement des jeunes.

Nasser, TSHM Vernier | FASe

« Le TSHM a pour mandat de travailler avec les jeunes de 12 à 25 ans. Une des spécificités dans sa mission est d’aller à la rencontre de la population et plus particulièrement des jeunes, là où ils se retrouvent, sur le terrain, sur le territoire, de manière régulière et constante afin de créer le contact avec sa population cible, entretenir le contact avec ceux qui décrochent, même de sa propre intervention, accéder à la réalité des situations vécues par la population. » 1

Le travail commence avec cette présence accrue sur le terrain et la prise de contact individuelle ou collective qui va déterminer et identifier les besoins des jeunes. Chaque professionnel à sa particularité et ses spécificités pour se présenter et visibiliser son travail auprès des jeunes en fonction de l’environnement et des réalités de terrain. Abdallah nous partage différents supports qui permettent d’aller vers et d’entrer en lien avec la jeunesse. 

Abdallah, TSHM Carouge | FASe

Libre adhésion et absence de mandat nominatif

La libre adhésion et l’absence de mandat nominatif font partie des principes fondamentaux du travail social hors murs. A travers ses tournées de rue et autres activités, le TSHM va à la rencontre des jeunes. Une fois le lien établi, le jeune choisit ou non la relation et/ou l’accompagnement que le TSHM peut lui proposer en fonction de ses besoins, de sa motivation et/ou de ses affinités.

« Dans le référentiel opérationnel, le principe de la libre adhésion offre aux populations concernées la liberté d’adhérer à la relation et aux propositions du TSHM et impose à ce dernier de respecter leurs choix. »2

Nasser nous affirme que l’accompagnement va se mettre en place à partir de la  demande et du besoin du jeune. 

Nasser, TSHM Vernier | FASe

Dans son témoignage, Jamila nous livre qu’elle s’est sentie libre de participer aux activités et que la relation était authentique et spontanée.

“Le lien s'est fait parce que je venais, on se parlait. Il a eu les mots , il a su me cerner et ça a matché tout de suite. Je n’ai pas eu de peine à lui accorder ma confiance, à entrer en lien. Ça s’est fait naturellement.”
Jamila
Entretien du 23 février 2022

Dans ces trois situations, nous relevons que la libre adhésion et le consentement du jeune ont toujours été présents dans la relation et l’accompagnement. En effet, il n’a jamais été question d’obligation ou d’aide contrainte et pourtant, les trois jeunes se sont pleinement investis dans les démarches pour faire évoluer leur situation.

Hello, je repensais à l’interview qu'on avait fait et à la question que vous m'aviez posée qui était : " c'est quoi un TSHM pour toi ?" Et finalement la réponse, c'est qu'en dehors du fait que vous êtes des travailleurs de rues, vous êtes comme une palette de couleur. À savoir que nous on est la toile, vous allez avoir pleins de peinture à nous proposer et parfois vous nous direz " là je verrai bien cette couleur-là " et que nous soit on accepte de la prendre et d'y rajouter sur notre toile soit on dira bah avant de mettre du rouge tout de suite on préfère mettre du jaune, puis de l'orange et finalement on accepterait le rouge. A savoir que ces couleurs sont les propositions que vous ferez pour nous accompagner au mieux et parfois cela nous convient et parfois pas. Il nous faudra un dégradé ou on refusera tout court la couleur, car ce n'est pas encore le moment. Et au final, quand votre travail est terminé c'est soit quand cette toile est terminée, soit quand nous on est capable de dire " OK je veux cette couleur-là, je fais ces mélanges-là pour y arriver, etc.
Jamila
SMS envoyé après l'entretien du 23 février 2022

Le non-jugement et la non-intrusion

Dans ses interventions et son rapport aux jeunes, le TSHM accepte les jeunes comme ils sont, sans émettre de jugement sur leur personnalité et/ou leurs actes. Il prend le jeune tel qu’il est, tel qui se ressent afin d’accepter son parcours, ses forces et ses faiblesses, mais également ses doutes et ses contradictions. Cette posture permet de commencer la relation sur une base neutre et sans a priori. Le jeune est ainsi dans un cadre bienveillant et sécurisant favorisant une confiance mutuelle.

« L’essence même du travail social « hors murs » s’inscrit dans une démarche éthique basée sur le souci de ne porter aucun jugement moral sur les situations rencontrées. »  3

« Le TSHM s’évertue de ne pas avoir un comportement intrusif, cela demande d’accepter le jeune dans sa différence et d’essayer de comprendre ses besoins en évitant de ramener le tout à sa propre expérience. » 4

Dans cet extrait, Nasser nous partage une anecdote qui démontre le caractère non intrusif dans sa posture. 

Nasser, TSHM Vernier | FASe

Lorsque les TSHM ont rencontré les jeunes, ceux-ci étaient dans des situations complexes. En effet, ils.elle étaient dans des consommations de substances psychoactives ; Kilian a eu des démêlés avec la justice, Jamila cumulait des dettes et Karim était dans une errance et une oisiveté. Malgré ces problématiques, les TSHM n’ont porté aucun jugement et sont restés focalisé sur leur objectif, à savoir, l’accompagnement inconditionnel de ces jeunes.

“Je me sentais inutile, car je n’avais pas de but et Raf m’expliquait que le premier pas pourrait être de me lever plus tôt (...) On ne m’a rien imposé, c’était juste, il écoute, il reçoit et transmet”.
Jamila
Entretien du 23 février 2022
"Abdallah, j’ai des soucis avec ma mère, des trucs comme ça ». Lui disait : “tu veux qu’on parle” ? Ce n’est pas le mec qui vient, qui s’incruste dans ta vie et qui va te dire : “bon maintenant je vais instaurer ça ou ça..."
Karim
Entretien du 8 avril 2002

Rafael, TSHM Ville de Genève | SEJ

La relation de confiance

Le lien de confiance est l’élément central de la relation puisqu’il permet au jeune de se montrer tel qu’il est. En confiance, il peut alors déposer sa parole, ses besoins, ses difficultés, ses envies et demander un soutien pour l’accompagner dans sa situation

« Le jeune peut construire sa confiance dans la relation avec le TSHM quand il ressent un engagement authentique, un intérêt réel pour lui. Il se sent alors accepté tel qu’il est, à l’abri du rejet. » 5

Rafael nous partage la manière dont s’est construit le lien de confiance avec Jamila.

Rafael, TSHM Ville de Genève | SEJ

La relation de confiance a été déterminante dans l’accompagnement des jeunes car c’est grâce à cela qu’ils se sont ouverts et ont partagé leurs besoins et problématiques. Les différents outils et principes fondamentaux du travail social hors murs, tels que la libre adhésion, le non-jugement, etc. favorisent cette relation de confiance avec le jeune. C’est un lien qui se construit dans le temps et qui n’est pas acquis d’emblée.

“Avec les TSHM, tu peux venir faire ta paperasse, te confier en toute confiance sur ce que tu veux faire de ta vie ou mettre en place pour tes projets futurs.”
Karim
Entretien du 8 avril 2002
"Mais du coup, d’avoir quelqu’un qui a vraiment 10 ans de plus et qui te parle comme s’il avait ton âge ou tu ne sembles pas parler à un adulte, tu parles à quelqu’un à qui tu vas accorder ta confiance, avec qui tu vas vraiment faire un travail."
Jamila
Entretien du 23 février 2022

La prise en compte de la situation globale

La prise en compte de la situation globale se fait en s’adaptant au rythme du jeune. L’accompagnement se construit de façon évolutive, en fonction des besoins décelés lors des entretiens.

« Ce travail est centré sur les individus mais se doit de prendre en compte le contexte dans lequel ceux-ci évoluent. Cela peut notamment impliquer un travail important avec les familles. Cette relation doit permettre d’accompagner le jeune dans la mobilisation de ses ressources et de celles de son environnement, de faire émerger les demandes implicites et de travailler sur les problématiques identifiées. Il peut s’agir d’un entretien coup de pouce comme d’un suivi pendant une longue période. » 6

À travers les différents entretiens, il en ressort que la prise en compte de la situation globale du jeune repose et se construit à l’aide de plusieurs phases de travail. En effet, cela se construit étape par étape dans une logique qui va beaucoup plus loin qu’une simple réponse à la demande initiale du jeune. On constate que les TSHM font dans un premier temps un état des lieux de la situation du jeune avant de proposer une quelconque réponse. 

Abdallah mentionne la diversité des problématiques que peuvent rencontrer les jeunes qui les sollicitent et l’importance d’accueillir cette parole et d’en faire quelque chose. 

Abdallah, TSHM Carouge | FASe

D’ailleurs, chez les trois jeunes accompagnés, les problématiques sont multiples et parfois se cumulent : conflits familiaux, recherche de logement, rupture scolaire, insertion professionnelle, judiciaire, endettement etc… Ces différentes situations démontrent que les TSHM exercent leurs mandats à partir d’un accueil inconditionnel et sans prérequis. Sa particularité c’est qu’il n’est pas spécialiste dans un champ d’intervention, comme pourrait l’être “Qualif” et/ou “Cap formation” qui sont spécialisés dans l’insertion professionnelle. Ce sont plutôt des généralistes qui vont prendre en compte une situation globale avant de proposer un accompagnement sur mesure en fonction des priorités. 

La temporalité des suivis peut varier en fonction de la demande et du besoin du jeune. L’accompagnement peut être ponctuel comme il peut durer plusieurs années comme en témoigne Karim.

“Aujourd’hui j’ai 27 ans et Abdallah a été présent sur pratiquement un tiers de ma vie. Il m’a accompagné au bon moment et à la bonne période“. C’est aussi Abdallah qui m’avait trouvé l’appartement. Donc c’est tout un accompagnement, c’est tout un parcours. J’ai été malade dans des périodes de ma vie et je pense qu’avant que je fasse un pas de travers, il a toujours su me dire la bonne phrase ou avoir les bons mots pour que je puisse en arriver là. Mais comme il dit, je suis aussi acteur de ma vie, mais il l’a été aussi, je pense."
Karim
Entretien du 8 avril 2002

La coopération

Le TSHM porte une attention particulière pour intégrer le jeune dans la résolution de sa situation. Il ne fait pas “à la place de” mais privilégie plutôt le “faire avec” lorsque c’est possible. Il encourage le jeune à être acteur de sa vie en mobilisant ses ressources afin de développer son pouvoir d’agir. Le jeune est donc considéré comme le moteur dans le processus d’accompagnement, ainsi sa coopération est primordiale pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixés.

« Le TSHM ne fait pas faire une activité, il la fait avec le jeune, idem pour les petits jobs, les chantiers éducatifs et la participation à la vie collective. Il s’appuie sur ses compétences et ses potentialités pour aider le jeune à les développer.  » 7

Sans minimiser son rôle, Abdallah attribue le mérite aux jeunes pour s’être investi dans l’amélioration de leur situation.

Abdallah, TSHM Carouge | FASe

Dans les différents entretiens effectués, on constate une réelle coopération entre les jeunes et les TSHM.  En effet, Kilian, Jamila et Karim se sont impliqués dans les différentes démarches qui les concernaient avec le soutien des TSHM. L’accompagnement aurait été vain sans leur adhésion et investissement comme peut en témoigner Rafael. 

Rafael, TSHM Ville de Genève | SEJ

“T’as vu Abdallah“, il parle beaucoup, mais il va tout te dire. Ça veut dire que toi, tu dois être vif. Lui, il t’apporte le taf , c'est-à-dire qu’il te donne à manger mais il faut que tu aies faim…"
Karim
Entretien du 8 avril 2002
“Quand j’avais de la peine à faire des lettres en mettant 2-3 heures pour lire l’orthographe, essayer de remettre les paragraphes en place, Nasser était à côté et m’expliquait que c’était mieux de faire comme ça . À d'autres moments, il me disait : « Killian, fais, tu m’envoies et je corrige."
Kilian
Entretien du 16 avril 2022

Le travail en réseau

Dans la plupart des situations que rencontrent les jeunes qui sont accompagnés par les TSHM, il est nécessaire de faire appel au réseau. En effet, étant des généralistes, ils orientent les jeunes auprès de partenaires compétents et spécialisés. Pour cela, il est important d’avoir une bonne connaissance du réseau local et cantonal. Nasser s’appuie sur le réseau et mobilise plusieurs ressources internes et externes”.

Nasser, TSHM Vernier | FASe

« L’ action auprès des jeunes nécessite un travail en réseau et en partenariat. Cela suppose de la part des TSHM une bonne connaissance de l’environnement et une étroite collaboration avec les partenaires tels que les institutions cantonales, les services communaux, les associations, les travailleurs sociaux d’autres organisations, les employeurs. »8

Abdallah affirme que : « Travailler isolément en tant que simple TSHM, il me semble que c’est un peu un leurre… »

Abdallah, TSHM Carouge | FASe

Dans les trois situations, le réseau a été activé pour apporter une réponse concernant l’accès aux logements, l’insertion professionnelle, une aide financière, un soutien à la parentalité, etc. Cela démontre l’importance du réseau pour mener à bien les accompagnements. Les TSHM ont fait le relai avec les partenaires concernés, lorsque cela a été nécessaire, ils les ont accompagnés physiquement pour faciliter le premier contact et se sont rendus disponibles en cas de besoin. Ce relai ne mène pas forcément à une solution comme nous l’a partagé Kilian mais c’est déjà un premier pas de fait par le jeune. 

“Je suis allé voir plusieurs institutions de la ville de Genève, c’était des personnes avec qui on parlait de ma situation pendant une heure ou deux, on repartait du bureau et au final, plus aucune nouvelle. Et pourtant, c’était des gens qui travaillaient pour la ville, qui devaient placer des jeunes au niveau du logement. Vu mon dossier à l’hospice, du coup Nasser m’a aidé. C’est un vrai soutien parce qu’à la place d’être tout seul dans les démarches, on était deux”.
Kilian
Entretien du 16 avril 2022
“J’ai bossé via la boîte à boulot, j’ai fait de la peinture sur un projet de graff à l’hôpital (primart), etc. et je me suis créé un réseau auprès des TSHM et des autres jeunes engagés sur les petits jobs. C’est une bonne chose pour moi car je me rendais compte que j’étais capable de…” (...) “J’avais un réseau énorme autour de moi, Raf, Ulinka, Barbara, un psy, une éducatrice et j’avais aussi 2-3 personnes sur qui je pouvais compter donc finalement je n’étais plus seule.”
Jamila
Entretien du 23 février 2022

Références

  1. FASe. (2016). Le travail social hors murs : référentiel opérationnel. https://fase.ch/wp-content/uploads/2019/07/FASe_Référentiel_TSHM_révisé_2016.pdf
  2. FASe. (2016). Le travail social hors murs : référentiel opérationnel. https://fase.ch/wp-content/uploads/2019/07/FASe_Référentiel_TSHM_révisé_2016.pdf
  3. GREA, (2005). Charte du Travail Social « Hors Murs ». https://www.grea.ch/sites/default/files/charte-charta_definitive.pdf
  4. FASe. (2016). Le travail social hors murs : référentiel opérationnel. https://fase.ch/wp-content/uploads/2019/07/FASe_Référentiel_TSHM_révisé_2016.pdf
  5. FASe. (2016). Le travail social hors murs : référentiel opérationnel. https://fase.ch/wp-content/uploads/2019/07/FASe_Référentiel_TSHM_révisé_2016.pdf
  6. FASe. (2016). Le travail social hors murs : référentiel opérationnel. https://fase.ch/wp-content/uploads/2019/07/FASe_Référentiel_TSHM_révisé_2016.pdf
  7. FASe. (2016). Le travail social hors murs : référentiel opérationnel. https://fase.ch/wp-content/uploads/2019/07/FASe_Référentiel_TSHM_révisé_2016.pdf
  8. FASe. (2016). Le travail social hors murs : référentiel opérationnel. https://fase.ch/wp-content/uploads/2019/07/FASe_Référentiel_TSHM_révisé_2016.pdf