Moi c’est Kilian, j’ai 19 ans, j’ai grandi à Châtelaine, j’ai fait ma scolarité à l’école primaire de Balexert puis au cycle des Coudriers . Au niveau scolaire je n’avais rien, je venais de terminer le cycle et je n’étais pas promu. C’est là que j’ai commencé à commettre des délits pour faire un peu d’argent pour me débrouiller. À cause de cela, j’ai été en détention pour mineurs pour une durée de deux ans. Ma mère venait me voir peut-être une fois tous les deux mois, ce n’était pas énorme.

Il y avait beaucoup de problèmes d’argent dans ma famille. J’avais l’argent de la pension qui s’est accumulé durant ma détention et ma mère me le réclamait. À cette période j’avais 17 ans et j’ai refusé de lui donner cette somme qu’elle exigeait.

“Je pouvais compter que sur moi-même.”

À ma sortie, je me suis dit, je vais commencer à travailler pour un truc qui va vraiment me rapporter de l’argent et pas de soucis avec la justice ou d’autres personnes. J’ai trouvé du travail sur le chantier quand j’avais 17 ans, ça s’est terminé à cause du Covid.  

C’est là où tout s’est cassé avec ma mère qui m’a dit que le jour de mes 18 ans, je prendrais la porte. Du coup, je me suis retrouvé dans la rue avec mon chien le jour de mon anniversaire. Ça a été dur, car en fait j’avais une maman, un appartement de 75 m2, j’avais une copine qui me donnait un peu d’amour, ce qui rendait ça encore plus beau et du jour au lendemain je me suis retrouvé seul avec le chien. 

De toute manière, depuis mes 7 ans, on m’avait déjà averti parce que pour mon frère, c’était déjà le même scénario. Des gens de ma famille m’avaient dit : « tu verras Killian ta mère va faire comme avec ton frère », et au final, ça n’a pas loupé. 

Pour mes amis, ce n’était pas les meilleurs amis parce qu’ils disaient tous, « viens, on est ensemble, on est des frères », mais au final quand il y avait vraiment besoin d’aide, d’avoir un tupperware, quelque chose pour manger, pour un toit pour dormir une nuit, quand je demandais, il n’y avait personne et c’est là que j’ai remarqué que je pouvais compter que sur moi-même. 

“J’ai trouvé moche parce que j’étais en période de sursis.”

Le jour de mes 18 ans, je suis allé à la maison de quartier de Châtelaine – Balexert et Sabrina, une animatrice, m’a orienté vers les TSHM et c’est là que j’ai rencontré Nasser. J’avais déjà un lien avec les éducateurs de Chabal parce que j’y allais depuis petit. Un mois avant mes 18 ans, j’ai anticipé en allant voir Sabrina. Je lui ai dit : « je le sens mal pour le jour de mon anniversaire ». 

Elle m’a mis en lien avec Nasser. Il y a eu un premier rendez-vous qui s’est fait à Chabal. On a discuté, je lui ai dit : “j’ai le chien, je n’ai pas envie de me retrouver dehors et être ce petit jeune qui galère”. Tu ne peux pas offrir de bonnes conditions à un chien si tu es sans arrêt dehors. Du coup j’ai dit à Nasser, j’ai envie d’avancer, je suis motivé. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à entreprendre les démarches auprès de l’hospice général pour un logement. J’ai fait plusieurs rendez-vous à l’hospice, mais le problème c’est qu’il me proposait 480 francs pour manger, payer l’abonnement téléphonique et les frais quotidiens. Ce n’était pas possible de faire les commissions à Genève sachant que je n’avais pas de cuisinière, que je devais acheter sur le tas, des sandwichs, des trucs comme ça. 

Du coup, pendant deux mois, j’ai été obligé de compenser. Moi j’ai trouvé moche parce que j’étais en période de sursis. Ça vient de se terminer et j’ai dû faire des trucs que je n’avais pas forcément envie de faire pour essayer d’avoir un plat le matin, le midi et le soir. J’ai alors fait deux mois à l’hospice et le 1er mars, j’ai trouvé du boulot et j’en suis sorti. J’ai trouvé un contrat au S.I.G pour 5 ans et j’ai signé directement via une boite temporaire. 

“Je me démerdais pour trouver une solution”

Pendant ces deux mois, ça a été compliqué pour le logement. J’avais le chien à ce moment-là, en plus il était chiot et moi je ne voulais pas l’abandonner. Sans lui, j’aurais pu me débrouiller et même dormir dans une allée, ça ne m’aurait pas dérangé, mais étant donné qu’il était avec moi, j’ai dû demander de l’aide. Ce sont les TSHM qui se sont démerdés pour me sortir de cette situation. Ils ont trouvé le financement donc je suis allé dans un hôtel les deux premières semaines

Je suis allé voir plusieurs institutions de la ville de Genève, c’était des personnes avec qui on parlait de ma situation pendant une heure ou deux, on repartait du bureau et au final, plus aucune nouvelle. Et pourtant, c’était des gens qui travaillaient pour la ville, qui devaient placer des jeunes au niveau du logement. 

Vu mon dossier à l’hospice, du coup Nasser m’a aidé. C’est un vrai soutien parce qu’à la place d’être tout seul dans les démarches, on était deux. Le plus dur a été de patienter, car les démarches, ça prend du temps, que ce soit pour trouver un travail ou pour trouver un logement. Il a poussé le dossier pour que les régies puissent m’accepter. Au début, j’allais faire les visites moi-même, je me démerdais pour trouver une solution pour y aller, mais avec mon dossier de l’hospice ça ne passait pas. Aucune régie ne m’acceptait et par la suite, j’ai dit à Nasser que je ne pouvais plus faire les visites. Il y avait trop d’appartements à visiter et je venais de trouver du boulot. Du coup il a décidé d’aller faire les visites à ma place et la régie NAEF a accepté mon dossier. Au départ ils avaient peur que je ne paie pas le loyer à temps, vu mon âge, mais par la suite, j’en ai trouvé un.

“Avançons étape après étape”

Après mes 18 ans, avec Nasser, on se voyait plusieurs fois par semaine. Des fois c’était le matin, à 8h ou 9h, car je ne travaillais pas, du coup je montrais de l’intérêt à mon dossier pour essayer de faire évoluer tout ça. C’est moi qui le contactais, mais parfois il me disait, ce serait bien qu’on puisse se voir à telle date. On communiquait et on se voyait assez souvent. Maintenant c’est un peu plus relax. 

Quand j’avais de la peine à faire les lettres en mettant deux trois heures pour lire l’orthographe, essayez de remettre les paragraphes en place, Nasser était à côté et m’expliquait que c’était mieux de faire comme ça. Au niveau de la lecture, c’était plus facile, plus compréhensible donc c’était un vrai soutien. Il y avait des dossiers, il fallait que ce soit assez rapide, du coup c’était lui qui prenait en charge, mais à certains moments, il me disait : « Kilian, fais, tu m’envoies et je corrige ». 

Par la suite, Christine,  sa chef a joué un rôle parce que Nasser était là, mais c’était une situation un peu compliquée, du coup il avait besoin d’avoir plusieurs avis. Il y avait Christine qui était présente et qui me disait : “Kilian, je vois que tu es motivé, que tu as envie d’avancer, mais avançons étape après étape”.  

La juge m’avait posé un sursis d’un an et demi et après mes 18 ans, c’était histoire close. Nasser me disait, toi tu viens avec un projet, c’est soit je te suis, car je pense que c’est un bon truc pour toi pour ton avenir, soit je te dis non, je ne te suis pas comme par exemple pour trouver un appartement en France, car ça comportait un risque au niveau des aides sociales. Les TSHM donnent leur point de vue si je leur demande, mais sinon, ils ne se permettent pas de juger. 

“J'ai toqué à la dernière porte où je ne voulais vraiment pas aller”

Au début Nasser a essayé de prendre contact avec ma mère, voir s’il était possible de se voir, mais ma mère a dit que ça ne servait à rien. Je peux comprendre, elle a 55 ans, elle voulait être un peu plus posée et les trois dernières années, j’ai peut-être un peu… ouais, je lui ai peut-être fait un peu la misère. Faut dire ce qui est. Aller chercher son fils au poste de police, l’assister au tribunal, aller le voir en détention alors que c’est dans le Valais, ça peut être compliqué.

J’ai eu la chance de trouver un travail où je gagne plutôt bien, je n’ai pas à me plaindre. En vrai, pour trouver ce boulot, j’ai toqué à la dernière porte où je ne voulais vraiment pas aller, une personne de la famille que je n’avais pas vue depuis un certain temps. Ce n’est pas facile de trouver du travail surtout en période de Covid, c’était assez serré. Pour le travail, Nasser n’a pas fait quelque chose de bien précis, j’ai fait travailler mes contacts qui m’ont permis d’entrer dans la boîte. Après, c’est à moi de maintenir le boulot, car c’est bien beau de me donner un travail, mais c’est à moi de faire le nécessaire pour le maintenir et de le faire déboucher sur un CDI. 

Sur le plan professionnel, je suis bien pour l’instant parce qu’il y a des permis professionnels que j’ai pu passer et que j’ai acquis. La semaine prochaine, j’entreprends le permis cariste. Ça m’ouvre des portes dans d’autres domaines, de la logistique ou du stockage dans de grands entrepôts. Ces permis, ce sont des institutions qui me les ont financés.  

“Tu pouvais tuer quelqu’un, s’il faut te cacher, elle te couvrira”

Au niveau familial, j’ai coupé les liens avec tout le monde sauf avec mon frère. À chaque fois il y avait des problèmes d’argent, ça m’affectait et je ne me sentais pas bien. J’ai un grand frère et une grande sœur pour qui ma mère est toujours en soutien et moi je suis le plus jeune et je ne réclame rien. Je ne l’appelle plus et je ne la vois plus. 

C’était plus lourd au début je dirais, car c’est frustrant d’avoir une mère comme ça sachant que ma grand-mère, ce n’est pas l’éducation qu’elle a donnée à ma mère. Ma grand-mère, tu pouvais tuer quelqu’un, s’il faut te cacher, elle te couvrira. Ma mère, tu as un couteau caché, elle appelle la police. C’est deux générations très différentes. 

Il y a aussi ma tante en soutien, mais elle a sa vie, elle a son copain, elle a sa fille, son petit-fils. Elle est présente quand il y a des repas familiaux, il y a la cousine, le cousin, elle m’invite, mais bon ça en reste là, ça ne va pas plus loin. 

Les autres ne peuvent pas m’aider parce qu’ils sont déjà dans une mauvaise situation. Par exemple pendant la période des deux mois où je n’avais pas de logement, surtout les deux premières semaines, ma sœur m’a logé quatre jours, mais après elle m’a dit, je ne peux plus rien faire pour toi, j’ai un copain, j’ai un gamin… Je comprenais, mais sachant que ma sœur a demandé par le passé une aide financière à d’autres personnes de la famille, je me dis qu’elle est un peu culottée parce que dès que j’ai trouvé du travail elle est venue me réclamer de l’argent.

Il y a une période, mon frère, ma sœur, ma mère et moi, on ne se parlait plus du tout et c’était surtout lié à l’argent. 

“Je les contacte et pendant 3 jours on m’a envoyé chier”

Nasser, il va t’accompagner, il va t’écouter, mais si tu prends la porte et que tu ne reviens pas, ce n’est pas lui qui va t’appeler pour dire : « ah, on avait commencé à entreprendre ça ». Faut que tu sois preneur sinon les TSHM prennent le rôle des parents avec leur exigence et ce n’est pas leur rôle. Si tu as envie d’avancer et que tu es motivé, tu passes par les TSHM. 

Avec Nasser, j’ai aussi pu partager un moment où j’ai pu faire une balade au Salève. Cette balade nous a permis d’avoir des discussions un peu plus privées et de m’intéresser à son parcours : « De Paris à Genève, comment ça s’est passé ? » Je pense que toute situation est bonne à entendre pour se forger un peu le mental et se dire qu’il y a d’autres gens qui ont traversé des trucs plus ou moins difficiles.

Maintenant je suis en train de me construire, j’essaie d’éviter les poursuites. Par exemple, il n’y a pas longtemps, il y a les CFF qui m’on envoyé une facture de 550 francs sans aucun motif. Je les contacte et pendant trois jours on m’a envoyé chier, puis au quatrième jour, j’ai pu discuter tranquillement avec une dame et elle m’a dit : « je suis désolée, c’est une erreur de notre part ». On parle quand même de 550 francs. Ils sont toujours mieux dans ma poche que dans la leur. C’est des petits trucs comme ça qui peuvent porter à confusion et si chaque mois tu ne fais pas attention, ça peut vite partir en poursuite. 

“Comme un citoyen normal”

Des fois je viens à Châtelaine, je croise encore les jeunes avec qui je trainais il y a un an et demi, deux ans et je vois que leur situation n’a pas vraiment évolué. J’ai essayé de leur donner des conseils, mais le problème, c’est qu’ils pensent que j’essaie de prendre ce statut de grand frère, de celui qui sait plus alors que ce n’est pas forcément ça. Par exemple, je connais un jeune qui voulait faire un CFC d’électricien, je lui ai dit, tu vas faire ta demande auprès d’une institution pour obtenir le permis « Nacelle ». C’est un permis à 6 ou 700 francs que tu sors de ta poche. Ça évite au patron de sortir de l’argent et il y a plus de chance qu’il te prenne pour un apprentissage CFC, sachant que tu as déjà un permis. J’oriente beaucoup les jeunes vers Nasser, mais après je me dis que je n’aurais peut-être pas dû le faire parce qu’ils n’ont pas cette motivation.

Aujourd’hui, je me sens mieux, comme un citoyen normal. Peut-être qu’avant, en restant trop à Châtelaine, étant tout le temps avec les mêmes personnes, je me sentais peut-être moins bien, moins à l’aise. J’essaie de faire en sorte que mon CV soit plus fourni que l’année dernière. Je suis plus à l’aise financièrement et j’essaie de placer mon argent.

Jamila

Je m’appelle Jamila, j’ai 22 ans, je travaille dans une Maison de quartier et j’habite sur Genève vers les Minoteries. J’ai été adopté à l’âge de deux ans...

Karim

Je m’appelle Karim, j’ai 27 ans, je viens de Carouge et je vis maintenant à Plainpalais. J’ai obtenu un CFC tant bien que mal et maintenant, je suis pompier professionnel...