Je m’appelle Jamila, j’ai 22 ans, je travaille dans une Maison de quartier et j’habite à Genève vers les Minoteries. J’ai été adopté à l’âge de deux ans. J’ai aussi un grand frère qui a été adopté. Mes parents sont d’origine suisse et turque.

J’étais scolarisée à l’école de Culture générale Henri Dunant. J’étais dans une très mauvaise période, parce que rien n’allait, que ça soit émotionnellement, amicalement et familialement. J’étais en totale dépression due à différents évènements dans ma vie ce qui fait que je ne suivais pas les cours correctement.

“Je n'ai pas été éduquée comme ça.”

Je pense que j’ai fait une grosse crise d’adolescence et j’avais beaucoup de douleur en moi qui n’a malheureusement pas été prise en considération et puis cela a créé une grosse dispute avec mes parents. À ce moment-là, j’ai dû partir de chez moi à l’âge de 18 ans, car tout allait mal. Entre-temps, j’ai eu des problèmes de santé et ça a été un truc en plus pour moi, car en plus de ma santé mentale, il y avait ma santé physique alors ce n’était rien de très grave, mais ça me handicapait quand même. 

Je m’étais beaucoup recroquevillée. J’étais bien entourée, mais je me sentais hyper seule. J’avais du monde autour de moi, mais je ne savais jamais réellement sur qui compter. En plus j’ai amassé quelques dettes, j’étais à l’office des poursuites et je voulais vraiment en sortir, car je n’ai pas été éduquée comme ça. J’ai hésité à faire appel à la fondation du désendettement, mais je préférais m’en sortir seule.

“c'était très familial et très accueillant.”

Un jour, une amie de l’ECG m’a proposé d’aller à la boxe à l’école de Ferdinand Hodler. Elle m’a dit que c’est un cours où tout était gratuit, les équipements étaient mis à disposition. C’était vraiment tu viens et tu pars quand tu veux. Je trouvais cela hyper intéressant. Elle m’a dit : “écoute fais de la boxe ça va peut-être t’aider un peu à te libérer de tout ce qui ne va pas” et finalement c’est comme ça que j’y suis allé et que j’ai rencontré Raf.

Il m’a dit, je suis TSHM, je lui ai dit que je ne savais pas ce que c’était. Il m’a expliqué, mais je ne savais pas comment ça allait m’être utile au début. Il m’a demandé comment je m’appelais ce que je faisais dans la vie ou j’en étais. Sans forcément trop vouloir entrer dans les détails, mais juste une présentation qui était déjà super cool. Ce n’était pas juste “je fais mon métier puis je suis là si jamais tu as besoin”. C’est là où j’ai aussi rencontré Ulinka et Barbara, elles se sont présentées à moi. J’ai senti ce truc où c’était très familial et très accueillant. 

Je venais une fois par semaine à la boxe avec ma copine et son frère et ça me faisait du bien de pouvoir évacuer et le fait de me sentir à l’aise. Je me sentais seule, je n’étais pas forcément dans une bonne période et je ne m’entendais pas bien avec mes amis donc avoir des adultes ça me réconfortait. Je suis une personne ouverte donc on commençait à discuter avec les TSHM sans forcément entrer dans les détails. 

“Il a eu les mots, il a su me cerner et ça a matché”

Ce qui était dur pour moi c’est que j’avais beaucoup de honte : “j’avais 18 ans, je ne faisais rien de ma vie”. Je sais de quoi je suis capable, mais je ne faisais rien à ce moment-là. Je fais du violon depuis que j’ai l’âge de 4 ans, je suis une artiste, j’ai fait beaucoup de choses dans ma vie et là, je me retrouvais sans rien faire et devoir demander de l’aide était compliqué. Ma limite c’était de passer par-dessus ça et d’admettre que là j’étais dans le besoin.

Je venais plus régulièrement à la boxe sinon en dehors de ça je n’aurais pas souvent rencontré les tshm. Le lien s’est fait parce que je venais, on se parlait. Il a eu les mots , il a su me cerner et ça a matché tout de suite. Je n’ai pas eu de peine à lui accorder ma confiance, à entrer en lien. Ça s’est fait naturellement. Par exemple, pour faire mon CV, il était là pour m’aider, pour qu’on fasse ensemble, si j’avais des questions ou des problèmes, j’avais quelqu’un sur qui compter. Ulinka et Barbara aussi, mais de femme à femme c’était un lien différent qu’avec un homme. Je ne dis pas ça dans le sens péjoratif. 

Je me sentais inutile, car je n’avais pas de but et Raf m’expliquait que le premier pourrait être de me lever plus tôt. L’accompagnement que j’ai eu avec les TSHM m’a aidé à me fixer de petits objectifs, étape par étape, abordables et réalisables et c’était gratifiant pour moi. On ne m’a rien imposé, c’était juste, il écoute, il reçoit et transmet. L’objectif d’arriver à l’heure, c’était dur au début. Je ne me levais pas forcément tôt le matin parce que je n’avais pas une hygiène de vie correcte.  

“je m'en fichais de mettre des habits qui ne ressemblent à rien... ”

J’ai par la suite travaillé en Petits jobs avec Raf, car j’avais besoin d’argent. Il m’a proposé de trouver du boulot, car à ce moment-là, j’étais plus scolarisée et je n’avais pas d’aide financière de mes parents ou de l’hospice général. J’ai été admise à l’hospice avec une aide financière, mais j’avais quand même besoin de faire quelque chose vu que j’avais plus l’école. J’ai bossé via la boîte à boulot, j’ai fait peintre à l’hôpital « Primart » et je me suis créé un réseau auprès des TSHM et des autres jeunes. C’était une bonne chose pour moi, car je me rendais compte que j’étais capable et je reprenais confiance en moi et ça me motivait plus.

Comme je voulais aller mieux, je m’en fichais de mettre des habits qui ne ressemblent à rien pour peindre ou faire un mois de Petits jobs “chaise longue” et j’étais souvent la seule fille avec des garçons. Heureusement que je suis quelqu’un qui m’acclimate et moi ça me faisait plaisir parce que je suis une fille, mais je peux faire de tout. Ils ont donc pu me mettre sur tous les postes.

“je sais que j’en suis capable. ”

Plus je bossais et plus je rencontrais du monde, plus je faisais mes preuves et plus les gens avaient envie de travailler avec moi. Je demandais toujours des attestations de travail et je voyais la liste qui s’agrandissait et c’était génial. Moi ça me faisait trop plaisir de me rendre compte qu’il y avait autant de monde bienveillant autour de moi et sans rien demander en retour. 

Je disais à Raf que je ne suis plus une jeune, je ne suis plus avec des objectifs ou je dois arriver à l’heure, être présente, car aujourd’hui je sais que j’en suis capable. Lui me disait que le bilan qu’on peut en faire aujourd’hui, je sais que si je dois t’appeler pour un boulot, il n’y aura pas de soucis. 

Il m’a proposé de travailler au McDonald’s, chose qui s’est concrétisée. J’ai travaillé pendant une année au Mc Do. Il a pu voir que j’étais carré et ça a permis qu’il me mette sur d’autres jobs. Il me donne une chance de pouvoir avancer et je n’avais pas envie indirectement de le décevoir et c’est ça qui me motivait, surtout j’avais quelqu’un qui me soutenait.  

“ Pendant un an, j’ai vagabondé chez des amis”

Même si ce n’était pas quelqu’un d’hyper proche, avoir un adulte qui croyait en moi, me donnait la possibilité d’aller bosser, car j’avais envie de m’en sortir. Si tu n’as pas cette envie-là, c’est très compliqué.

Raf s’est rendu énormément disponible. Au début je n’ai pas trop fait appel à lui, car je n’étais pas en relation avec mes parents, mais il me disait toujours qu’il pouvait être là pour un rendez-vous avec eux ou s’ils avaient une question, il serait disponible. 

Finalement il a rencontré ma mère deux ans après pour lui dire que tout se passait bien pour moi, c’était bienveillant et pas pour contrôler. Ma relation avec mes parents quand j’ai rencontré Raf et aujourd’hui, c’est le jour et la nuit.

Avant j’étais à ULT (Unité logement temporaire) dans un studio de 25m2 et c’est Ulinka qui a fait en sorte que j’intègre ce logement, car pendant un an, j’ai vagabondé chez des amis. Puis via l’hospice j’ai intégré les appartements de la Servette et j’y suis restée une année aussi.  

À la Servette, je continuais à voir Raf et je travaillais en Petit jobs. Dès que j’avais une question administrative comme par exemple faire les impôts, je savais que je pouvais compter sur lui, c’est lui qui m’a vraiment soutenu. J’avais aussi un accompagnement à la Servette par des professionnels.

“j’ai toutes les cartes en main”

Ulinka elle sait que j’adore la danse, j’en ai fait pendant un long moment donc elle m’a proposé d’aller à des manifestations hip-hop (Groove N Move). C’était plus pour me soutenir moralement. 

J’avais un réseau énorme autour de moi, Raf, Ulinka, Barbara, un psy, une éduc et j’avais aussi deux-trois personnes sur qui je pouvais compter donc finalement je n’étais pas aussi seule que ça. 

J’ai travaillé pendant un été et j’ai rencontré Noémie qui est animatrice en Maison de quartier et qui m’a dit : « tu es pétillante, tu y vas, on a besoin d’une monitrice » et depuis j’y suis. La première année j’y allais comme jeune et la deuxième année en tant que monitrice donc j’ai eu des responsabilités et j’ai pris confiance en moi. 

Avant je comptais sur Raf et quand je ne savais pas faire un truc, direct, j’allais le voir. Aujourd’hui, je sais que j’ai toutes les cartes en main et si vraiment il y a quelque chose qui ne va pas, je peux l’appeler. Aujourd’hui c’est une option, je sais comment me battre et comment avancer donc aujourd’hui j’ai plus besoin de lui si je peux dire ça comme ça.  

“ça s’est fait naturellement”

Aujourd’hui mes amis je les compte sur les doigts d’une main, mais je m’en fous parce que ses deux-trois amies je les appelle et je sais que si j’ai n’importe quel problème, ils seront là alors qu’avant j’en avais dix ou quinze, mais je n’étais pas bien. 

Mon réseau a changé en fonction des périodes que je vivais, par exemple quand je fumais beaucoup de joints, quand j’ai arrêté j’étais plus avec des gens qui travaillent. Ma journée commençait à 8h et plus à 14h. Je restais avec des gens qui avaient ce rythme-là donc ça s’est fait naturellement puis j’ai fait un tri dans ma vie avec les valeurs et les principes que j’avais. 

“C’est comme quand on amène un âne à la rivière…”

Pendant le temps où je travaillais beaucoup, j’ai quand même essayé de retrouver les liens avec la famille et aujourd’hui on est unis comme si rien ne s’était passé.  On a recollé les morceaux et c’est juste incroyable ce que je vis avec ma famille, mais ça a pris du temps. Aujourd’hui, c’est le jour et la nuit. Je suis très famille malgré tout et j’ai eu ce temps de pause avec Raf qui m’a permis de prendre conscience de plein de choses et de me remettre en question.

Aujourd’hui, je vais être mère, j’ai ma famille, j’ai mon appartement. Moi qui ai vagabondé, je suis fière parce que si je ne l’avais pas voulu, j’aurais pu rester où j’étais et ne pas avancer. C’est comme quand on amène un âne à la rivière, il ne va pas forcément boire. Moi je voulais boire, mais je ne savais pas comment aller à la rivière. Raf m’a aidé à ce niveau-là.

“Des fois on dirait presque tes potes”

J’ai déjà conseillé à des amis d’aller voir Raf et c’est là que je devais expliquer quel était le rôle du TSHM à un ami. À cette époque, il n’était plus scolarisé, il cherchait du boulot et ce n’était pas une bonne période dans sa vie. Je lui ai dit c’est un travailleur social hors murs et c’est comme un éducateur, mais qui travaille dans la rue, pas comme ceux de l’hospice qui sont derrière leur bureau, tu vas chez eux, tu t’assois, tu discutes et tu repars.

Pour moi le TSHM va au café ou au bureau ou sur un Petit job, il est vraiment à l’extérieur comme à l’intérieur et il va t’accompagner dans tous les sens du terme. C’est-à-dire psychiquement, administrativement, il va t’apporter les outils nécessaires pour pouvoir te construire, à tous les niveaux. Pour moi c’est comme un éducateur sauf qu’il est là, il discute avec toi et ce n’est pas : « Oui bonjour Monsieur… », « bonjour Madame… ». Des fois on dirait presque tes potes, c’est ce côté-là qui est très familier et très rassurant quand tu es jeune. 

Du coup, avoir quelqu’un qui a vraiment dix ans de plus et qui te parle comme s’il avait ton âge. Tu parles à quelqu’un à qui tu vas accorder ta confiance, avec qui tu vas faire un travail. Si je dois décrire le TSHM, c’est quelqu’un qui va t’accompagner sur tous les plans là où tu auras besoin. 

Karim

Je m’appelle Karim, j’ai 27 ans, je viens de Carouge et je vis maintenant à Plainpalais. J’ai obtenu un CFC tant bien que mal et maintenant, je suis pompier professionnel...

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Moi c’est Kilian, j’ai 19 ans, j’ai grandi à Châtelaine, j’ai fait ma scolarité à l’école primaire de Balexert puis au cycle des Coudriers . Au niveau scolaire je n’avais rien ...