Je m’appelle Karim, j’ai 27 ans, je viens de Carouge et je vis maintenant à Plainpalais. J’ai obtenu un CFC tant bien que mal et maintenant, je suis pompier professionnel. 

Plus jeune, j’ai fréquenté les Moraines, Jacques Grosselin, la Tambourine pendant un temps et après j’ai arrêté d’aller dans ces Maisons de quartier parce que les animateurs ont changé. Du coup, je trainais dans le quartier, je zonais avec les potes et j’ai fait mes expériences. 

“Putain ces enfoirés, ils ne veulent pas me prendre”

J’ai entendu parler des TSHM vers mes 15 – 16 ans. J’étais à l’école de culture générale à l’époque. Avec des potes on se rejoignait souvent en bas du centre social et un jour Abdallah nous a interpellés et s’est présenté à nous. Ce jour-là, quand il est venu, c’était du genre  « ça va les gars, tranquille, ça se passe? ». Il ne nous a pas pris de haut et a joué cartes sur table en disant : “je suis là, à telle adresse”. Vous avez vu d’où je suis sorti ? Ben c’est là ou je rentre tous les matins donc si vous voulez un CV, une lettre de motivation, un job ou si vous avez une autre requête, passez me voir avec mon équipe on vous accueillera avec plaisir et faites passer le message. 

Je l’ai contacté la première fois parce que j’avais postulé à plusieurs reprises à la ville de Carouge pour faire des jobs d’été rémunérés. Je me suis fait refoule trois années de suite. J’avais la haine, je me disais,” putain ces enfoirés, ils ne veulent pas me prendre”. Quand je lui ai raconté, il m’a dit : “t’inquiètes, on va faire ensemble une bonne lettre de motivation”. Je lui ai montré mon CV et il m’a dit, “on le refait”. On a envoyé mon dossier et j’ai été engagé deux années de suite. C’est ouf ou pas ?

Du coup, il y a plein de gens qui sont allés le voir pour faire des lettres de motivation, des CV pour trouver un apprentissage. Ce n’était pas des gars de l’école, faut pas se leurrer, ils avaient souvent des soucis avec leurs parents. Ils y allaient et disaient : « Abdallah, j’ai des soucis avec ma mère, des trucs comme ça ». Lui disait : “tu veux qu’on en parle” ? Ce n’est pas le mec qui vient, qui s’incruste dans ta vie et qui va te dire : “bon maintenant, je vais instaurer ça ou ça”,  comme certaines instances. 

“Je viens avec des solutions et l’envie de m’en sortir et là, on me sanctionne! “

Par exemple, l’hospice général avec qui j’ai eu une mauvaise expérience. J’avais l’impression qu’on me prenait pour un gratteur, un mec qui allait s’installer pendant six mois ou un an. On ne m’a pas laissé parler en fait. On m’a directement fait comprendre les règles : “ouais c’est comme ça, là c’est les papiers, vous allez toucher tant”. Mais moi je ne voulais pas forcément parler de ça. 

On était dans une situation financière compliquée et l’hospice nous versait 1’700 franc à chaque fin du mois. Je donnais l’argent à ma mère pour qu’elle puisse payer le loyer. Elle me disait, mais toi tu vas faire comment ? Je lui répondais que si j’ai besoin de 20 balles, je lui demanderais puis je m’arrange aussi avec Abdallah pour faire des Petits jobs.

Sans le savoir, je me suis tiré une balle dans le pied, car l’assistante sociale a voulu me déduire l’argent des Petits jobs. J’étais dégouté parce que je viens avec des solutions et l’envie de m’en sortir et là, on me sanctionne ! Ben, je lui ai dit que je ne vais plus en trouver de solutions ! Je me suis levé, je me suis barré. Ce jour-là, j’étais vénère de fou,  j’ai pleuré de haine, je me suis dit, je vais aller là-bas, je vais tout retourner.

Je suis allé voir Abdallah, je lui ai tout expliqué. Il m’a laissé parler,  je ne me suis jamais senti jugé ou quoi c’est ça la différence avec certains. On a fait une lettre, on y est retourné ensemble, il a expliqué la situation, il a posé la lettre et le lendemain, elle m’a appelé en me disant : « oui alors effectivement, on ne va pas vous déduire cet argent, mais au-dessus de 1000 francs on vous le déduira. Je lui ai répondu : “mais Madame, toute cette histoire n’aurait pas dû avoir lieu, vous devez soutenir les gens quand ils essayent de s’en sortir.”

“C’est une question d’affinités “

Il y a aussi eu un moment où on a eu des soucis avec le voisinage parce qu’on faisait du foot à l’Agorespace des tours et on foutait le bordel. Du coup, Abdallah a organisé des séances à « l’Espace 8 » et on a pu avoir une discussion entre jeunes et habitants. On a pu mettre les choses à plat une bonne fois pour toutes et régler ces histoires. Encore une fois, il était présent et il a su gagner notre confiance au final. 

Il a aussi pu faire le lien entre la ville et les jeunes. Il y a beaucoup de choses qui se sont créées et mises en place à Carouge. Des Petits jobs, comme le tri des déchets pendant les manifestations, la vogue, la mise en place de la patinoire de la Sardaigne et plein d’autres choses. 

Avec les TSHM, tu peux venir faire ta paperasse, te confier en toute confiance sur ce que tu veux faire dans ta vie ou mettre en place pour tes projets futurs. Il y a toute une équipe, Hicham, Julie, Jessica, Steve, Salvatore. Avec Salvatore, j’avais plus d’affinités quand j’étais vraiment gamin, il s’occupait du “snowboard” à la Maison de quartier Jacques Grosselin. Et après j’ai eu plus affaire à Hicham et Abdallah. Je parle beaucoup d’Abdallah parce que c’est vrai que lui, on s’est chopé et c’est une question d’affinités. 

“Je suis aussi acteur de ma vie”

Tout s’est enchaîné, car au même moment j’ai trouvé un appartement, j’ai pris de la distance avec ma mère parce que ça devenait trop dur avec ses problèmes de santé, ça allait trop loin, ça m’atteignait trop. J’ai craqué une fois, je me suis bloqué le dos en faisant du sport à force d’y penser et j’ai eu deux mois d’arrêt.

C’est aussi Abdallah qui m’avait trouvé l’appartement. Donc c’est tout un accompagnement, c’est tout un parcours. J’ai été malade dans des périodes de ma vie et je pense qu’avant que je fasse un pas de travers, il a toujours su me dire la bonne phrase ou avoir les bons mots pour que je puisse en arriver là. Mais comme il dit, je suis aussi acteur de ma vie, mais il l’a été aussi, je pense.

“Quand j’étais gamin, je parlais de ça”

Ma mère a toujours été là, franchement, elle n’a jamais lâché le morceau, elle a toujours voulu le meilleur pour moi, elle s’est toujours battue pour moi malgré ses problèmes de santé. Aujourd’hui, sa santé s’est améliorée donc ça se passe bien et c’est cool.

Mais des fois elle me dit : “pourquoi tu t’acharnes comme ça ? Qu’est-ce que tu vas te tuer au taf ? » Elle ne comprend pas toujours, car des fois je vais faire des gardes de 24 heures, de 12 heures et peut être qu’à mon anniversaire ou celui de ma femme, je ne vais pas être là. Ce n’est pas grave parce que je kiffe donner de mon temps aux autres, comme vous, vous allez être là pour un jeune. Il y a du social dans le métier de pompier professionnel, il ne faut pas se leurrer. 

Donc sur le plan familial, ça s’améliore parce que j’ai également repris contact avec la famille de mon père avec qui j’avais plus trop de contacts depuis plusieurs années. Ça se passe super bien. J’ai un cousin qui a deux ans de plus que moi, son père c’est le frère de mon père et quand on était gamin on se sentait comme des frères. Les dernières années, on ne s’est plus trop parlé puis on a repris contact et ça se passe bien. 

Au Maroc toute ma famille est soit médecin, soit chirurgien anesthésiste. Ils ont tous fait de grosses études. Ici on a privilégié la pratique pour avoir du travail plus vite. Là-bas, c’était les études pour avoir du travail plus vite donc c’est deux mondes différents. Avoir leur reconnaissance et avoir un papier, une reconnaissance au niveau fédéral ça fait plaisir, car on me prend en considération. On ne se parlait plus, puis quand on a repris contact, j’étais pompier professionnel. Aujourd’hui, ils sont tous fiers de moi. Il y en a un qui me disait que quand j’étais gamin, je parlais déjà de ça. Il m’a dit : “t’as vraiment réussi ce que tu voulais faire” et ça, cette reconnaissance, c’était cool aussi. 

“Ça t’apporte une ouverture d’esprit”

Mes fréquentations aujourd’hui, c’est à peu près toutes les mêmes. Il y en a qui sont devenus de bonnes connaissances, on a eu de bons souvenirs, de bons trucs, mais c’est plus comme avant. Ces mecs, ils ont moins d’importance qu’avant, tu ne leur souhaites pas de mal, loin de là, je souhaite que du bonheur à tout le monde. 

Aujourd’hui je suis chez moi alors qu’avant j’étais tout le temps dehors. Bon c’est vrai, il y a eu le Covid et tout, mais je deviens grave casanier. Bon parce que je suis super bien dans ma tête aussi. Je suis tout seul à la maison où je sors tout seul et ça me va. 

Je pense aussi que je suis arrivé à maturité et à un bonheur de vie. En fait, tu vois, je suis comblé tout simplement. Je suis fiancé depuis deux mois et ça fait six ans qu’on est ensemble. C’est incroyable, avec ma copine, on s’est connus il y a six ans et elle a suivi tout mon parcours et on est encore ensemble. Je trouve ça cool, ça nous a beaucoup soudé et elle m’a toujours aidé pendant les moments difficiles et pendant cette formation. 

Je pense que mon parcours a dû motiver des jeunes, car Abdallah m’a appelé en me demandant si on pouvait se voir, car des jeunes voulaient me poser des questions pour les entretiens. Je suis content de savoir que des jeunes du quartier sont maintenant motivés à se lancer dans les pompiers volontaires. Moi c’est avec grand plaisir que je partage mon expérience.

Il y a des personnes comme Abdallah, Hicham ou même Julie, Magali, Jess, et j’en passe qui ont des angles de vue et des approches différents du tien et ça t’apporte une ouverture d’esprit. C’est apaisant et surtout ça te permet d’avoir plus confiance en toi.

Kilian

Moi c’est Kilian, j’ai 19 ans, j’ai grandi à Châtelaine, j’ai fait ma scolarité à l’école primaire de Balexert puis au cycle des Coudriers . Au niveau scolaire je n’avais rien ...

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Je m’appelle Jamila, j’ai 22 ans, je travaille dans une Maison de quartier et j’habite sur Genève vers les Minoteries. J’ai été adopté à l’âge de deux ans...